Le magazine Alter Échos, plus de 25 ans d’histoire.
Alter Échos est une émanation de l’Agence Alter, née dans le giron de la rédaction bruxelloise du magazine liégeois C4. Nous sommes alors en 1995. À l’époque, le projet rassemble une poignée de jeunes journalistes ou de militants engagés « qui avaient envie d’en découdre avec la société« , explique Pierre Verbeeren 9, directeur d’Alter jusqu’en 2002, aujourd’hui secrétaire général de l’ONG Médecins du Monde. Arnaud Grégoire, un autre fondateur du projet, aujourd’hui producteur indépendant, précise que l’envie était « de faire les choses autrement (…), d’avoir une démarche sociale et de traiter de l’innovation sociale » 10. « On a trouvé des gens qui avaient des choses à raconter, qui avaient une lecture très dure de la société« , précise Pierre Verbeeren.
De leurs réunions, qui s’égrenèrent pendant quelques mois rue Potagère à Saint-Josse, va naître un premier projet. « On s’était dit qu’on allait reproduire le modèle liégeois, en faisant de l’éducation permanente et de la formation. On voulait aussi créer de l’emploi. La toute première ASBL créée dans ce cadre s’appelait EFPE, pour ’Éducation, Formation, Production, Emploi’. Certains trouvaient ce nom affreux. On a été voir l’administration bruxelloise avec notre projet et avons reçu un subside de 650.000 francs belges (environ 16.000 euros, non indexés, ndlr) pour le volet production du projet, où il s’agissait de travailler sur les enjeux de l’insertion socioprofessionnelle, qui étaient nouveaux à l’époque« , poursuit Pierre Verbeeren.
L’ASBL Agence Alter est créée dans la foulée. Le numéro zéro d’Alter Échos – « Les échos d’Alter » – est daté du 26 septembre 1996. Le premier numéro paraît le 24 février 1997. Il prend la forme d’un bulletin d’information envoyé gratuitement aux professionnels du secteur social. À la Une, l’équipe signe une lettre destinée à ses futurs lecteurs : « Alter Échos est conçu comme un outil de travail. Votre outil de travail. Il veut rencontrer des préoccupations prioritaires : votre efficacité et les droits des publics qui vous rencontrent au quotidien« . Pour Pierre Verbeeren, c’était « un travail de dingue. On écrivait nos articles et la nuit, on rassemblait les photocopies du numéro pour les mettre sous enveloppe« . Une seule personne était alors salariée à temps partiel : Thomas Lemaigre, un journaliste qui fait également partie des fondateurs d’Alter Échos.
Alter Échos est conçu comme un outil de travail. Votre outil de travail. Il veut rencontrer des préoccupations prioritaires : votre efficacité et les droits des publics qui vous rencontrent au quotidien. Pierre Verbeeren, cofondateur de l’Agence Alter.
Les envies militantes exprimées lors des réunions qui présidèrent à la naissance du projet trouvent une expression journalistique qui consiste « à faire parler les faits » : « On s’était dit qu’il ne fallait pas prendre position. Si on racontait la réalité, ce serait d’un subversif décapant« , souligne Pierre Verbeeren. L’Agence Alter fait alors ses débuts en tant qu’agence de presse. « L’idée était de produire un journal, tous les quinze jours, pour un lectorat d’abonnés. Une partie de ces contenus était faxé aux rédactions, sous la forme de dépêches. Les abonnements ont très vite décollé. Il y avait besoin, à l’époque, d’une information factuelle, bien faite et indépendante des traditionnels piliers que sont les syndicats ou les administrations« , se rappelle Thomas Lemaigre, salarié pendant seize ans à l’Agence Alter – successivement comme journaliste, rédacteur en chef et directeur –, aujourd’hui codirecteur de La Revue Nouvelle.
À l’époque, le modèle économique de l’association dépend exclusivement de subsides. Il s’agit là de sa plus grande faiblesse. Le nombre d’employés de l’Agence évoluera en fonction des projets subsidiés, et ceux-ci ne vont pas toujours relever du domaine du journalisme. « On a eu assez vite d’autres boulots qui se trouvaient à la frontière avec le journalisme, voire qui ne relevaient plus du tout du journalisme. On a fait des comptes-rendus de colloques, des notes synthèse, des briefings. On disait ’oui” à tout : cela permettait de dégager des marges pour faire notre gazette. À l’époque, on s’était dit que nos ressources financières devaient être de trois types : subsides, abonnements et contrats pour développer des outils sur les questions sociales« , explique Thomas Lemaigre. Pour Pierre Verbeeren, il fallait y voir la force de la jeunesse. « On ne doutait de rien. En 2003, quand j’ai quitté Alter, on avait réussi à créer seize emplois et on travaillait avec une quarantaine d’indépendants. Nous avions fort diversifié nos activités. On publiait ’Alter Educ’, consacré au secteur de l’éducation ; ’Alter Business News’, qui traitait de sujets relatifs à la responsabilité sociale des entreprises ; ’Alternative Business’, qui consistait en un travail d’accompagnement des chômeurs dans la création de leur activité ; et ’Alter EU’, une sorte de société de consultance en recherche et innovation, qui travaillait avec des gens qui avaient besoin que l’on réfléchisse sur leur secteur. On tournait avec environ 1,2 million d’euros, dont 300.000 ou 400.000 euros en recettes propres« .
Une histoire jalonnée de projets
Au fil des ans, les activités de l’Agence Alter se poursuivent sur le mode de la diversification de ses activités – posant, par la même occasion, un débat sur ce que les journalistes peuvent ou non accepter comme mission, sur le plan éthique –, tandis qu’Alter Échos est publié à un rythme bimensuel. Sa maquette évoluera une première fois en 2001, à l’occasion de son numéro 107, tout en restant dans une logique de feuillets photocopiés, dont la couleur des pages change à chaque numéro. Elle adoptera une nouvelle physionomie en 2007 puis en 2012 et en 2018, année au cours de laquelle le magazine adopte un rythme mensuel et démarre une diffusion en librairies. Vingt ans après son lancement, le lectorat d’Alter Échos n’a pas beaucoup évolué : il compte aujourd’hui entre 600 et 700 abonnés. À l’occasion du vingtième anniversaire de l’agence Alter, Aude Garelly, qui avait intégré l’équipe en 2005, avant de la diriger de 2012 à 2015, retracera le fil d’une histoire marquée par le lancement de plusieurs projets qui ne perdureront pas dans le temps. Elle épinglera celui des premiers numéros spéciaux réguliers d’Alter Échos, en 2012-2013, « sur des thématiques à la frontière du social, qui font (de la) revue de plus en plus ouverte à d’autres secteurs que les secteurs sociaux traditionnels (par exemple mobilité et social, alimentation durable et social, énergie et social, logement, …)« . Elle soulignera la particularité d’Alter, « une forme hybride d’indépendance grâce à ce qu’on pourrait appeler la multidépendance ou la multi-activité (…) au niveau financier (…) C’est peut-être ça la seule chose qui n’a pas varié en vingt ans et qui fait la force de l’Agence, et aussi sa fragilité. (…) Ça veut dire une exigence de dingue pour financer dix emplois à ce jour (..) avec l’objectif toujours primordial de ne perdre ni son âme ni sa marge demanoeuvre, et donc un délicat équilibre à préserver (…) Une particularité aussi, c’est le fait d’avoir dans une si petite structure des métiers complémentaires (journalisme, recherche) qui amène des façons d’intervenir que personne d’autre n’a, et qui comportent des valeurs ajoutées, et des tensions lorsqu’ils coexistent dans un même projet : sur les enjeux de déontologie, de mode d’intervention, de liberté, d’indépendance« .
De l’équipe des débuts, qui a longtemps œuvré bénévolement au projet, il ne reste plus personne. En 2018, la rédaction se composait de cinq journalistes salariés, en ce compris la coordinatrice du magazine (anciennement coordinatrice de la rédaction, qui quittera la rédaction en février 2019), tandis que l’Agence Alter comptait quatre salariés de plus (un directeur financier, un coordinateur général, deux responsables de projets). Après avoir traversé plusieurs crises liées au management de l’association, l’équipe d’Alter a souhaité adopter un mode de gestion collaboratif. Sur le plan financier, sa dépendance aux fonds public a rendu le projet fragile. S’il ne s’agit pas de la première crise qu’elle traverse, celle qu’elle connaît actuellement apparaît comme l’une des plus sérieuses. En 2018, le budget annuel de l’association s’élevait à 850.000 euros. 76% de celui-ci était consacré aux salaires.
Un public de plus en plus nombreux en ligne
Le magazine Alter Échos dispose d’un site web depuis 2004. En 2017, il a fait l’objet d’une refonte complète, avec pour objectif de mettre davantage en valeurs les contenus, qui consistent essentiellement en des reprises d’articles publiés dans le magazine. Environ deux-tiers des articles publiés sont accessibles via un abonnement payant. Les statistiques démontrent que c’est sur ce terrain que le magazine rencontre le plus large lectorat. « La consultation du site est stable par rapport à l’année 2016 et en augmentation de 15% par rapport à 2015. Le nombre total de sessions enregistrées en 2017 est de 120.206, soit une moyenne mensuelle de 10.017 sessions par mois. En termes de visites uniques, cela représente 92.118 internautes, soit une moyenne mensuelle de 7.676 visiteurs uniques par mois« , indique la coordinatrice de la rédaction. Par ailleurs, chaque publication est annoncée via une lettre d’information électronique. En décembre 2018, celle-ci comptait 4.771 abonnés. En ce qui concerne les réseaux sociaux, Alter Échos comptait, à la même époque, 5.872 abonnés à sa page Facebook et 2.272 abonnés à son compte Twitter.
Engagés mais pas militants
Alter Échos fut parfois le lieu de prises de positions tranchées, mais les idéaux d’hier n’ont pas forcément disparu. Les journalistes ne se considèrent pas comme militants, mais ils revendiquent un engagement pour davantage de justice sociale. Lors d’un débat sur la presse alternative organisé au Théâtre National à Bruxelles, le 28 septembre 2017 dans le cadre du Festival des Libertés, le journaliste Julien Winkel expliquera que si les moyens et la force de frappe du média sont différents, il ne considère pas qu’il s’agit là d’une presse alternative. « Je ne me sens pas en opposition avec la presse traditionnelle. On fait le même boulot et on peut traiter les mêmes sujets. Les médias traditionnels peuvent avoir un traitement de l’information que l’on pourrait aussi trouver chez nous. Je ne me sens mal à l’aise avec cette division entre ce qui serait de la presse alternative et de la presse traditionnelle (…) On peut être engagé sans faire d’opinion. On peut être engagé dans ses choix mais on n’est pas des militants dans le traitement des sujets. Dans un sens, on fait de la presse d’opinion mais différemment qu’en affichant un étendard« . Il ajoutera que le modèle économique du magazine n’entrave pas la liberté d’informer de la rédaction : « Être financé par les pouvoirs publics ne nous a jamais posé problème, même si l’on sent parfois des velléités de recadrage« .
En avril 2017, le magazine se lançait dans une grande première en Belgique francophone : à cette époque, il a accueilli le premier système d’automatisation de la production d’informations (ce que l’on appelle vulgairement un « robot »). Celui-ci avait pour objet de fournir un monitoring de la qualité de l’air en région bruxelloise. Les brouillons automatisés de « Bxl’ air bot » ont été traités dans un numéro spécial, publié un an plus tard. Cette expérience fut le point de départ du webdocumentaire « Quatrième révolution« , toujours disponible sur le site d’Alter Echos, qui traite des enjeux de la quatrième révolution industrielle.
Cet historique a été réalisé dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en avril 2020, intitulée « L’automatisation de la production d’informations en appui aux pratiques journalistiques. Analyse des représentations, des conditions d’association et de la structuration des usages en Belgique francophone », Laurence Dierickx, Université Libre de Bruxelles, sous la direction de David Domingo et de Seth van Hooland.